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mercredi 10 décembre 2014

L’Université algérienne est fonctionnelle à l’image d’une caserne

Ahmed Raouadjia. Directeur du Laboratoire d’études historiques, sociologue et organisateur des journées d’études «quelles missions assignées aux sciences sociales et humaines en Algérie ?»

-Quel bilan faites-vous des travaux des deux journées consacrées à la place des sciences humaines ?
Le premier bilan positif, c’est la participation active des étudiants. Leur curiosité, leur désir, leur soif d’apprendre et de connaître. La deuxième performance miraculeuse, c’est qu’on a réussi tous, grâce aux collègues, à intéresser, motiver et convaincre de manière directe et indirecte, explicite et implicite les étudiants de la nécessité d’être présent, de poser des questions et de ne pas avoir peur de se tromper.
-Quels enseignements tirez-vous de cette rencontre ?
La réponse la plus importante est la nouveauté et l’originalité de ce colloque que j’ai initié. Sans vanité, je crois que c’est la première fois qu’on mélange les sciences dures avec les sciences exactes. C’est très important, parce que la présence des spécialistes des sciences dures est une réponse au discours selon lequel la crise ne touche que les sciences humaines. C’est une réponse cinglante à tous ceux qui disent que la régression et l’arriération ne touchent que les sciences sociales et humaines. Ensuite, la présence de physiciens et de mathématiciens a montré que ces sciences sont elles aussi dans une situation de sinistrose et de crise sans précédent. Enfin, on s’est rendu compte que le déficit dans la recherche scientifique touche toutes les disciplines. Et que par conséquent on a mis l’accent sur l’importation du LMD «clé en main», comme les usines des années 1970 pour industrialiser le pays.
C’est-à-dire qu’il n’y a aucune réflexion de la part des Algériens et que surtout la tutelle n’a pas fait appel aux concernés, aux enseignants et étudiants. Nous avons constaté, lors de ces débats, que les étudiants ne sont pas satisfaits et qu’ils parlent d’une confusion générale et d’une dichotomie entre les diplômes du classique et du LMD. Ni les étudiants ni les enseignants n’ont compris ce système qui ne répond pas aux critères définis par les Européens. Tous les enseignants ont dit que le LMD en Europe a été accompagné d’une logistique qui se tient, le tutorat, des bureaux d’accueil, une logistique technologique, etc). On a parlé de la qualité et de l’excellence, alors qu’on ne sait pas ce que c’est.
Autre chose dramatique, c’est l’information et l’orientation. Il n’y a pas de bureaux d’information au sein des universités pour orienter les étudiants. Même pas un simple bureau d’accueil. Les casernes et les administrations disposent de ces bureaux, mais pas l’Université ! Les étudiants sont ainsi largués et perdus. L’absurdité du LMD et de l’enseignement supérieur réside dans cette gestion artistique dans ce flot du flux des étudiants et de la transmission du savoir et de la connaissance. Et puis, on a vu dans les médias, selon un collègue, que 18 étudiants de Batna ont pu bloquer tout le campus. Cela veut dire que les étudiants font la loi et que le wali ou le ministre leur donnent tout ce qu’ils veulent dès lors qu’ils ne font pas de vagues. Ceci dénote de l’absence d’un Etat de droit. Et la fronde est partout, il y a un malaise permanent.
Un malaise qu’on entretient presque sciemment et par ailleurs on essaye de rafistoler pour maintenir à tout prix la paix sociale, la sécurité, le calme plat quitte à faire des concessions, à jeter des miettes pour faire taire les étudiants. Par ailleurs, il y a une autre forme de corruption bien plus pernicieuse que la prédation et le vol caractérisé. Lorsque des consignes discrètes viennent du rectorat ou du ministère disant qu’il faut augmenter les notes et que l’on fait des pressions même amicales entre enseignants. ça, c’est  bien plus dangereux que la corruption.
-La crise de l’Université dépasse donc celle du système LMD, c’est une crise de l’enseignement supérieur...
L’Université est le reflet fidèle de la gestion par des bureaucrates et des administratifs qui n’entendent rien à la recherche scientifique. C’est-à-dire, les gens qui nous gèrent, y compris le ministre lui-même, n’ont aucun lien avec la recherche. Ils ont plutot un rapport de pouvoir sur la recherche. Et ça, ce sont des points qu’on n’a jamais approfondi. Et on le voit tous les jours, car la gestion elle-même relève de la politique politicienne et non d’un champ autonome. Résultat : il y a une centralisation bureaucratique qui n’est même pas fondée sur une centralisation à la manière jacobine, car sans logique ni rationalité. C’est-à-dire, c’est la brutalité sans phrases. Chaque responsable pense qu’il voit mieux que les universitaires et se substitue à des fonctions, missions et personnages comme s’il était lui-même dans leur peau. Il est à la fois ministre, ingénieur, technicien, et professeur. Il est omniprésent et omniscient.
-Pour revenir à la confrontation entre les sciences exactes et les sciences humaines, pourquoi cette dévalorisation dans le vocable des responsables ?
Ce régime politique part de l’idée qu’il est entouré de techniciens, technocrates et des bureaucrates censés être arrimés à la modernité, parce qu’ils ont appris un peu le français, qu’ ils ont un certain bagage et sont en même temps des techniciens. Donc, on a toujours mythifié la technologie, mais ces gens-là n’ont ni la technicité ni la compétence administratives. Pour se faire valoir, ils disent : nous sommes détenteurs de technicité administrative et technique, nous sommes porteurs de modernité et il nous faut des techniciens, des mathématiciens, des physiciens. Seulement, ces derniers eux-mêmes sont atomisés et marginalisés par ceux-là mêmes qui parlent en leur nom.
Les tenants du pouvoir disent au peuple : on ne détient pas seulement le pouvoir et la force, mais également le savoir, et cela est une grande duperie. Notre régime est allé trop loin dans la transfiguration et dans la célébration de la technicité. Aussi, l’un des intervenants a dit ce matin (lundi), que les sciences sociales font peur. Le fait même de critiquer le déficit et les faiblesses de l’Etat, les insuffisances, les lacunes observées est une manière de provoquer la conscience et l’éveil du citoyen. Et ils n’ont pas besoin de ça. Je le répète, cette rencontre, c’est la première fois en Algérie qu’on met face à face les sciences sociales et les sciences dures.  L’originalité de cette rencontre, c’est qu’elle montre que le pouvoir ment au peuple, se ment à lui-même, et puis il ment tellement qu’il est contredit par ceux-là-mêmes qu’il essaye de défendre, les physiciens et les mathématiciens. Par ailleurs, cette rencontre a été le révélateur qui a permis de donner à voir et à lire le mécontentement et le ras-le-bol des sciences dures.
-Au-dela du constat, c’est quoi la solution pour sauver l’Université ?
La solution n’appartient pas aux universitaires ni à une poignée de chercheurs. La seule chose qu’on peut reprocher aux universitaires dans l’ensemble, c’est l’absence d’initiatives, la servilité, la dépendance organique, la peur, l’inhibition et la recherche de l’intérêt personnel. C’est une vérité cruelle. Mais, cela dit, nous avons beaucoup d’intelligences et de compétences dans ce pays, mais seulement elles sont délibérément atomisées. Et cette atomisation est inscrite dans l’espace architectural de l’Université. Dans toutes les universités algériennes, il n’existe pas de cafétérias ou de salles de rencontres permanentes pour les universitaires pour prendre un café et discuter politiquement et intellectuellement. Les bibliothèques sont loin. Et surtout la structure architecturale est faite pour ne pas permettre les rassemblements. L’Université algérienne est fonctionnelle à l’image d’une caserne. Toutes les universités algériennes sont conçues de telle sorte que les enseignants se croisent comme deux parallèles qui ne se rencontrent pas. Ça, c’est une politique délibérée qui s’inscrit dans la stratégie d’un régime autoritaire, allergique à la démocratie, au débat et aux manifestations publiques.
-Les solutions sont ici sous-entendues ; quelles sont les solutions pour sortir l’Université de sa crise ?
Les solutions doivent être collectives et concerner tous les acteurs sociaux et économiques. Seulement, comment faire ? Nous avons des acteurs, des partenaires, il y a les universitaires comme partenaires publics, les entreprises nationales, la police aussi qui est un partenaire qui se révolte, les journalistes aussi, les syndicats, les oppositions, les fausses oppositions, etc. Mais alors, comment établir une connexion, un lien, une solidarité entre ces différents segments ? Et nous savons depuis des décennies que le pouvoir algérien a toujours essayé de diviser le peuple et le maintenir en laisse soit par le parti unique ou le pluralisme. Personnellement, je ne vois pas pour le moment la solution.
-Un dernier mot…
Cette situation ne peut pas durer et que ceux qui nous gouvernent actuellement feraient mieux de réviser leurs politiques et de se remettre en cause. La remise en cause n’est pas un déshonneur ni une abdication. Un dirigeant qui dit : «J’ai fait des erreurs et je vais essayer de les corriger» est un homme d’honneur, qui a de la virilité et de la noblesse. C’est un homme qui s’honore lui-même et honore sont peuple.


Samir Azzoug
In El Watan

 

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